2013/10/07

Et retrouver du sable dans ses poches...

Ce week-end, je suis allée dans la maison de famille probablement pour la dernière fois.
 
Non en fait, je sais bien que c'était la dernière fois.
 
Elle sera bientôt vendue, et une page de mon enfance sera vendue avec elle. C'est sans doute un passage obligé, et mon caractère de nostalgique n'arrange rien à l'affaire, mais j'ai du mal à voir partir des pans de mon histoire, alors je les photographie. Pas dans ma mémoire, elle est bien trop instable, pas fiable pour deux sous. Je prend des photos. Partout où j'ai vécu, j'ai pris des photos. De partout, de chaque pièce, même les toilettes, même les placards, tout, partout, pour m'en souvenir.
 
Ce week-end, avec chéri d'amour et les enfants, nous y sommes allés. Pour eux, ce n'était sans doute qu'un chouette week-end à la mer, pour moi c'était une madeleine géante et si peu de temps pour tout revivre, l'espace d'un week-end, graver une dernière fois dans ma mémoire et dans mes photos tous ces souvenirs d'enfance, ces vacances de Pâques, de la Toussaint, ces moments où j' allais avec mes parents, ma cousine, on s'en fichait bien à l'époque, ça durerait toujours alors pourquoi s'en faire...
 
Le vacances là-bas c'était la plage, tout le temps, des châteaux, des trous dans le sable, des circuits de billes, des seaux pleins d'eau et de coquillages. C'était la ballade du soir, jusqu'au casino (pour voir les vitrines des boutiques de luxe) ou jusqu'aux baraques, manger une niniche, jouer aux arcades et regarder la mer. C'était se laver le sable sur les pieds dans un bidet, c'était marcher, beaucoup, jusqu'à la ville d'à côté, puis revenir, encore, et recommencer. C'était les cousins, c'était la famille, c'était les bouts de pain et de chocolat avalés avec un peu de sable sur une natte. C'était une partie de nain jaune les soirs où il faisait mauvais. C'était tout le temps pareil. C'était bien.
 
Alors nous y sommes allés tous les quatre, mais la maison était froide, humide, minuscule, les meubles avaient été modernisés, la façade repeinte, ce n'était plus vraiment la même maison.
 
Dans le placard, il n'y avait plus de jeu de nain jaune, il y avait un vieux fer à repasser "pour les locataires". La maison est louée l'été. Depuis toute petite, j'ai toujours entendu parler de ces "locataires", des êtres mystérieux qu'on ne voyait jamais, qu'on n'aimait pas trop parce qu'on avait peur qu'ils volent ou cassent quelque chose. Ils allaient dans la maison, ils dormaient dans les lits, c'était bizarre, mais on n'y pensait pas trop. Hors saison, la maison était à nous, la plage était à nous, la ville nous appartenait, et les locataires ne savaient rien de tout ça, ils ne pouvaient pas comprendre.
 
On y est arrivés dans la nuit, fatigués, énervés, la maison ne m'a pas plu, je ne la reconnaissais pas. Pourtant au matin, le charme a opéré, j'arrivais même à sentir l'odeur du pain grillé qui me réveillais quand je dormais dans l'autre chambre, celle des enfants. Il n'y avait pas de pain grillé. Chéri d'amour est allé chercher des croissants. Seulement on n'avait jamais de croissants, c'était du pain grillé.
 
C'est là que j'ai réalisé ce que je venais faire là : revivre toutes mes vacances, les faire vivre à mes enfants, coute que coute, je voulais qu'ils aiment ce que j'ai aimé, qu'ils ressentent ce que j'ai ressenti, qu'ils parcourent mes chemins, qu'ils les trouvent aussi magiques que moi. Bien sûr, ça n'a pas marché, je me suis sentie frustrée.
 
Nous avons malgré tout passé un bon moment, il y a eu des premières fois, premier tour de manège, premiers pieds dans la mer, première bouchée de sable... nous avons vraiment passé un très bon week-end. On a aussi fait un stock de niniches.
 
 
 
Tant de choses à revivre en si peu de temps... Finalement, je crois que j'ai vécu ce week-end un peu seule, plongée dans mes souvenirs, j'étais avec mes hommes, mais pas vraiment à la même époque. J'étais un peu triste aussi. Et puis j'ai réalisé que la maison ne disparaitrait pas, que la plage encore moins, qu'on pourrait revenir, même si on logeait ailleurs, qu'on pourrait revenir et vivre la même chose, que ce serait un peu différent, mais que c'était la vie.
 
De toute façon, c'était déjà différent.
 
Quand il a fallu partir, j'ai dit au revoir à la maison. Je l'ai photographiée partout, même les placards, même les toilettes, j'ai ravalé mes larmes pour ne pas inquiéter les enfants, je ne voulais pas pleurer. Tant que je ne pleurais pas, c'est que ce n'était pas vraiment fini, n'est-ce pas ? Et puis j'ai fermé la porte-fenêtre, fermé les volets, tourné la clé, et voilà.
 
Au revoir la maison.
 
Au revoir.
 
 
 

E.